DOCERE

Patrice de La Tour du Pin

« Ceux qui vous ont perdu, comment peuvent-ils vous déceler? - Déjà, pour nous, vous êtes souvent un Dieu tellement caché! »

— Patrice de La Tour du Pin, Psaume VIII, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, extrait de Petite somme de poésie, p. 96

« Ils se regardent et posent tous la même question :
     - que sommes-nous venus faire ici?
L'un répond : j'ai interrogé la bête souriante du fond
     de moi, - elle ne m'a rien proposé que son sourire.
L'autre dit : chacun de nous a ses propres puissances,
     - elles ont l'intelligence de leurs désirs.
L'autre : il faut conquérir le champ de l'âme, - l'autre :
     il faut tout sacrifier pour entrer nu dans la mort.
L'autre : il faut nous composer une sagesse, - l'autre :
     il faut goûter à la plus haute musique.
L'autre : il faut connaître; et l'autre : il faut tout dire;
     - et l'autre : il faut rester transparent devant Dieu.
Mais une voix, qu'ils ne savaient pas leur, se fit entendre
     sur toutes les lèvres - dans ce conseil inquiet qui cherchait sa direction
Et tous mirent un doigt sur la bouche pour signifier qu'ils se taisaient,
     - tous se levèrent de table pour montrer qu'ils écoutaient
Et leur voix dit : Si Dieu a fait un monde d'amour,
     - vous êtes faits pour le retrouver. »

— Patrice de La Tour du Pin, Psaume XLIII, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, extrait de Petite somme de poésie, p. 101

« Hâtez-vous de ne plus rester longtemps en solitude,
- et cependant que vous y demeurez, priez beaucoup pour les autres. »

— Patrice de La Tour du Pin, Psaume XLVI, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, extrait de Petite somme de poésie, p. 103

« Le Seigneur est en train de mourir d'amour sur la terre,
Disaient les anges autrefois,
Et maintenant ce cri passe dans toute chair :
Le Dieu-Amour vient de mourir d'amour en moi!

Alors, parmi les bonheurs et les sèves, sa croix?
Mort d'amour, mon Seigneur? comme un défi,
Un reproche à la beauté de votre monde?

Jeune mort de printemps, comme un revers de honte
À toute fleur, à toute paix, à toute grandeur...
Que mes yeux s'enténèbrent de lui pour comprendre

Pourquoi toujours la mort avant le paradis,
L'aveuglement avant le triomphe de lumière,
La sueur glacée avant l'apaisement,
Le détroit de silence avant le grand concert?

Ô mon agonisant, pourquoi le seuil est-il tragique,
Et cette impasse entre les deux royaumes,
Et cet estuaire si resserré?

- Parce qu'il faut reconquérir le mal
Revivifier de vous ce que la mort a pris,
Creuser d'amour les parts perdues du corps du monde,
Et que reprenne à la cendre le feu!

Alors toute beauté doit apparaître en vous;
Il ne sera qu'un sens pour le jet de la vie,
Et la résurrection se devine ici-bas... »

— Patrice de La Tour du Pin, Office du soir : Poème, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, extrait de Petite somme de poésie, p. 106

« Regardez la nuit derrière nous,
Et voyez devant comme elle est transparente!
Les plantes d'ombre étendent leurs branches vers le jour.

Il fait céleste par-devant, criez-le, mais criez-le!
Même la mort ne coupe la pente où nous montons,
Ne perdons pas le souffle comme des adultes,
C'est l'enfant qui s'envole en nous!

Toute la terre attend les enfants de la Grâce
Pour être libre enfin et allégée de sa tristesse;
Et la mer rend l'amour par toutes ses vagues.

Les forêts de chênes et de sapins rendent l'amour,
Les champs d'avoine et les vergers de cerisiers rendent l'amour!
N'entendez-vous pas les peuplades d'oiseaux et leur musique?

Délivre ce que tu as méconnu et étouffé par ta faute,
Prolonge ce que tu as arrêté en toi!
Les hommes d'ombre étendent aussi les bras vers le jour.

Ils n'ont pas su qu'il faisait céleste en eux,
Ils n'ont pas laissé jouer la brise divine,
Ils se sont enracinés sur eux-mêmes.

Ne la regarde plus nuit, mon porteur d'ombre,
Qu'as-tu donc bien aimé que tu n'emportes pas?
Par quels sens rendras-tu cette magnificence?

Silence, silence, chantent les premiers anges,
Car d'ici l'on devine, extasié,
Dieu le Seul qui se rend l'amour à lui-même. »

— Patrice de La Tour du Pin, Office du soir : Hymne, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, extrait de Petite somme de poésie, p. 107